Les baux commerciaux comportant un loyer dit « binaire », composé d’un minimum garanti et d’une part variable assise sur le chiffre d’affaires, soulèvent des questions spécifiques quant aux modalités de fixation du loyer en cas de révision ou de renouvellement. En effet, si le recours au juge des loyers commerciaux pour fixer le loyer à la valeur locative est de droit dans les baux classiques, la présence d’un loyer binaire a pu être interprétée comme une volonté des parties d’écarter cette compétence. Or, comme le rappelle le tribunal judiciaire de Paris (TJ Paris, 4 juill. 2024, n° 23/02404), les parties à un bail binaire peuvent manifester, notamment au travers des clauses de leur contrat, leur volonté de confier au juge la fixation du loyer minimum garanti lors de la révision triennale.
En l’espèce, un bail commercial mettait à la charge du locataire le paiement d’un loyer annuel binaire, comprenant un minimum garanti et une part variable additionnelle fixée à 6% du chiffre d’affaires hors taxes. À l’occasion d’une demande en révision triennale introduite par le locataire, le bailleur avait contesté la compétence du juge des loyers commerciaux. Il faisait valoir qu’en convenant d’un loyer binaire, les parties avaient choisi d’écarter les règles légales de fixation du loyer et que, faute de clause expresse attribuant compétence au juge, celui-ci ne pouvait pas statuer sur le montant du loyer révisé.
Le tribunal écarte cette argumentation en relevant que plusieurs clauses du bail manifestaient au contraire la volonté des parties de confier au juge la détermination du loyer minimum garanti. De ces stipulations, le tribunal déduit que les parties ont entendu se conformer au régime légal de révision du loyer, sans exclure sa compétence. Il précise que cette révision judiciaire ne peut porter que sur le loyer minimum garanti, seul susceptible d’être fixé à la valeur locative selon les clauses du bail.
Cette solution, qui confirme la possibilité pour les parties à un bail binaire de recourir au juge pour fixer le minimum garanti lors de la révision triennale, s’inscrit dans le prolongement d’un assouplissement de la jurisprudence quant à l’office du juge en matière de loyer binaire.
Pendant longtemps, la Cour de cassation avait en effet considéré que la fixation du loyer renouvelé d’un bail binaire échappait totalement aux dispositions de l’article L. 145-33 du Code de commerce et ne pouvait résulter que de l’accord des parties (Civ. 3ème., 10 mars 1993, n° 91-13.418 ; Civ. 3ème, 7 mai 2002, n° 00-18.153).
Puis, dans un arrêt de principe du 3 novembre 2016 (Civ. 3ème, n° 15-16.826 et 15-16.827), elle avait admis que les parties puissent prévoir, par une clause expresse, de recourir au juge pour fixer le loyer minimum garanti à la valeur locative lors du renouvellement. Le juge statue alors selon les critères légaux, tout en tenant compte de la part variable pour apprécier un éventuel abattement.
Plus récemment, la Cour de cassation a franchi un pas supplémentaire en jugeant que même en l’absence de clause expresse, le recours au juge des loyers peut résulter d’une volonté commune des parties, qu’il appartient au juge de rechercher dans le bail ou dans des éléments extrinsèques (Civ 3ème., 30 mai 2024, n° 22-16.447).
Que faut-il retenir ?
La stipulation d’un loyer binaire exclut-elle nécessairement la compétence du juge des loyers commerciaux pour fixer le loyer révisé ?
Non, les parties à un bail binaire peuvent manifester leur volonté de confier au juge la fixation du loyer minimum garanti lors de la révision triennale. Cette volonté peut résulter de clauses du bail qui n’excluent pas le recours au juge et se réfèrent au régime légal de révision du loyer.
Sur quel élément du loyer binaire peut porter la révision judiciaire ?
Lorsque les parties ont prévu la compétence du juge des loyers pour fixer le loyer révisé d’un bail binaire, cette révision ne peut porter que sur le loyer minimum garanti, seul susceptible d’être fixé à la valeur locative. La part variable du loyer, généralement assise sur le chiffre d’affaires, reste en principe inchangée sauf accord des parties.
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