Le remboursement du compte courant d'associé : un droit encadré
Vous avez injecté des fonds dans votre entreprise pour l’aider à démarrer ou surmonter un passage difficile, via un compte courant d’associé. C’est une pratique courante et flexible, mais qu’en est-il du jour où vous souhaitez récupérer ces sommes ? Pouvez-vous les retirer à tout moment ? Ou la société peut-elle refuser, invoquant ses propres difficultés ou des clauses spécifiques ?
La question du remboursement du compte courant d’associé est cruciale. Pour l’associé, elle touche à la liquidité de son investissement. Pour l’entreprise, elle impacte directement sa trésorerie et sa stabilité financière. Cette situation fait naître une dualité : l’associé est à la fois investisseur et créancier de la société. Comment ces deux qualités s’articulent-elles, surtout quand les choses se compliquent ?
En tant que cabinet d’avocats dédié au droit des affaires, notre objectif est de vous apporter une vision claire et pragmatique de vos droits et des contraintes qui pèsent sur le remboursement de votre compte courant d’associé. Nous allons décortiquer ensemble le principe fondamental, les limites posées par les conventions ou la loi, et les règles spécifiques applicables en cas de difficultés majeures de l’entreprise. Notre approche sera conversationnelle et accessible, tout en vous fournissant les informations juridiques précises nécessaires pour sécuriser vos avances et anticiper les situations potentiellement complexes.
Quand un associé peut-il demander le remboursement de son compte courant ?
Le principe en la matière est clair et fermement établi par la Cour de cassation : en l’absence de convention ou de disposition statutaire spécifique, les comptes courants d’associés ont pour caractéristique essentielle d’être remboursables à tout moment.
Il est crucial de comprendre que l’exigibilité du solde créditeur du compte courant d’associé nécessite impérativement une demande de remboursement de la part du titulaire du compte. Sans cette demande, le droit n’est pas mis en œuvre.
La jurisprudence n’admet par ailleurs aucun fait justificatif pour faire obstacle à ce principe de remboursement à tout moment. Par exemple, la société ne peut pas refuser le remboursement au motif qu’une plainte pour abus de biens sociaux a été déposée contre l’associé. De même, le fait que l’associé ait cessé de faire partie de la société n’est pas une condition nécessaire à sa demande de remboursement, sauf clause contraire. L’insuffisance de trésorerie de la société ne constitue pas non plus, en principe, un obstacle au droit au remboursement.
Ce qu’il faut retenir : Par défaut, un associé peut demander le remboursement de son compte courant à tout moment, et la société ne peut s’y opposer en invoquant sa seule situation financière.
Quelles limites peuvent affecter ce droit au remboursement ?
Si le principe est celui du remboursement à tout moment, ce droit n’est pas absolu et est assorti de tempéraments, qu’ils soient conventionnels ou légaux. Il s’exerce également dans la limite de l’abus de droit, qui pourrait être caractérisé par une demande brutale et sans préavis. De plus, en l’absence de délai contractuel, l’associé est tenu de respecter un délai raisonnable de préavis pour sa demande, conformément au droit commun des contrats.
A – Les limites conventionnelles
Les premières limitations peuvent résulter d’accords passés entre l’associé et la société. Elles peuvent être prévues dans la convention de compte courant elle-même (par exemple, en fixant une durée déterminée pour la mise à disposition des fonds), dans les statuts de la société ou encore résulter d’une décision prise par l’assemblée des associés.
- Renonciation ou abandon de créance : L’associé prêteur peut choisir de renoncer provisoirement à demander le remboursement. Cette renonciation doit résulter d’une manifestation de volonté certaine et non équivoque ; elle ne peut être déduite d’une simple attitude passive de l’associé. L’associé peut aussi procéder à un abandon pur et simple de sa créance, ou à un abandon conditionné au retour à meilleure fortune de la société.
- Incorporation au capital : Une autre limitation conventionnelle courante est l’accord par l’associé de convertir sa créance de compte courant en prêt à terme (consolidation du passif, souvent via une convention de blocage) ou en capital social. L’incorporation en capital se réalise par une augmentation de capital où la créance de remboursement de l’associé est compensée avec sa créance d’apport à la société, à condition que ces deux créances soient certaines, liquides et exigibles.
- Validité des clauses de blocage : Les clauses qui confient aux seuls organes de direction le soin de fixer les conditions de remboursement (clauses purement potestatives) sont nulles. En revanche, les tribunaux admettent la validité de clauses liant le remboursement à l’état de la trésorerie ou à la capacité financière de la société, à condition que la décision ne dépende pas exclusivement de la direction. Une clause statutaire soumettant les modalités de remboursement à une décision collective des associés est également valable.
Ce qu’il faut retenir : Des conventions, les statuts, ou des décisions unanimes d’associés peuvent limiter ou conditionner le droit au remboursement. Les clauses doivent être rédigées avec une grande clarté, car une dérogation au principe du remboursement immédiat doit être clairement exprimée. Une clause ambiguë ne produira pas d’effet.
B – Les limites légales
Le droit au remboursement peut également être affecté par des règles issues d’autres branches du droit.
- Droit des obligations : En cas de difficultés financières de la société, le juge peut accorder un délai de grâce pour le paiement du compte courant, ne pouvant excéder deux ans, conformément à l’article 1343-5 du Code civil. Il s’agit cependant d’une situation exceptionnelle. L’obligation d’exécuter les conventions de bonne foi a parfois été invoquée pour refuser le remboursement lorsque l’associé connaissait les difficultés de la société. Toutefois, il n’est pas certain que cette jurisprudence axée sur l’équité résiste face à l’affirmation de la Cour de cassation selon laquelle le devoir de bonne foi n’écarte pas la force obligatoire du contrat. Enfin, la créance de remboursement peut être éteinte par prescription. Le délai de prescription, généralement de cinq ans (pour les sociétés commerciales et civiles), ne commence à courir qu’à partir du jour où l’associé demande le remboursement, rendant ainsi la créance exigible. Ce délai peut être suspendu ou interrompu, par exemple par une reconnaissance de dette par la société.
- Droit des sociétés : Dans les sociétés à risque illimité (comme les sociétés civiles ou en nom collectif), une clause statutaire peut prévoir que les pertes de l’exercice sont immédiatement supportées par les associés en compte courant. Dans ce cas, l’associé ne récupère pas les fonds ainsi mis à disposition, car ils se confondent avec sa contribution aux pertes. En cours de vie sociale, un solde débiteur résultant de l’affectation des pertes n’est pas exigible par la société, sauf si les statuts le prévoient. En cas de cession des parts sociales et du compte courant, c’est la date de la décision d’appel de fonds pour couvrir les pertes qui détermine qui du cédant ou du cessionnaire est tenu de la dette vis-à-vis de la société. Un accord entre cédant et cessionnaire sur ce point leur est opposable, mais pas à la société.
Ce qu’il faut retenir : Des règles légales, notamment le délai de grâce, la prescription, ou les mécanismes de contribution aux pertes dans certaines sociétés, peuvent également limiter le droit au remboursement.
Quel est le sort des comptes courants en cas de difficultés de l’entreprise ?
Le droit des procédures collectives (sauvegarde, redressement, liquidation judiciaire) apporte des règles spécifiques qui peuvent perturber le droit au remboursement. Il convient ici de distinguer selon que l’avance a été consentie avant ou après l’ouverture de la procédure collective.
- Avance antérieure au jugement d’ouverture : Si la société rembourse un compte courant d’associé pendant la « période suspecte » (période précédant le jugement d’ouverture), ce remboursement peut être annulé. Il peut s’agir d’une nullité facultative si l’associé-prêteur avait connaissance de l’état de cessation des paiements de la société, connaissance présumée s’il est dirigeant. Si le remboursement n’a pas eu lieu avant l’ouverture, la créance d’associé est une créance antérieure qui ne peut pas être payée et doit être déclarée au passif de la procédure.
La compensation entre la créance de l’associé (remboursement du compte courant) et une créance de la société (par exemple, sur un apport non libéré) n’est possible que si les conditions de la compensation légale (créances certaines, liquides et exigibles) étaient réunies avant le jugement d’ouverture. La jurisprudence refuse la compensation basée sur la simple connexité, considérant que la créance de compte courant naît d’un contrat de prêt et la créance sur les apports du contrat de société, sans lien suffisant.
Les intérêts sur la créance de compte courant antérieure au jugement d’ouverture sont également des créances antérieures et doivent être déclarés. Cependant, la règle de l’arrêt du cours des intérêts s’applique, sauf exception légale.
- Avance postérieure au jugement d’ouverture : Les avances consenties après le jugement d’ouverture bénéficient généralement d’un privilège de procédure, étant nées pour les besoins de la procédure elle-même ou de la période d’observation. L’associé peut potentiellement bénéficier du « privilège d’argent frais » ou du « privilège de post-money ». Ces privilèges sont accordés aux créanciers qui consentent un nouvel apport en trésorerie pour assurer la poursuite de l’activité ou l’exécution d’un plan. Ils permettent à ces créances d’être payées par préférence aux créanciers antérieurs et même potentiellement à d’autres créanciers postérieurs. Pour en bénéficier, il doit s’agir d’une mise à disposition effective de fonds ; une simple renonciation provisoire à percevoir, par exemple un dividende, ne suffit pas.
Il est également à noter que des pratiques telles que les « comptes courants inversés » (une filiale prêtant à sa mère) ou des retraits injustifiés par le dirigeant via son compte courant d’associé peuvent entraîner l’extension de la procédure collective de la société à l’associé ou au dirigeant pour confusion des patrimoines ou faute de gestion.
Ce qu’il faut retenir : Les procédures collectives bouleversent le droit au remboursement. Les avances antérieures sont gelées et soumises à déclaration, avec un risque d’annulation si remboursées trop tôt. Les avances postérieures bénéficient de privilèges sous conditions strictes.
Conseils pratiques pour votre entreprise
Gérer les comptes courants d’associés demande rigueur et anticipation pour éviter les conflits et sécuriser les flux financiers tant pour l’associé que pour la société. Voici quelques recommandations concrètes :
- Formalisez systématiquement les avances : Ne vous contentez pas de simples écritures comptables. Mettez en place une convention de compte courant d’associé ou intégrez des clauses spécifiques dans les statuts. Cela clarifie les modalités de la mise à disposition et du remboursement, évitant ainsi les interprétations litigieuses.
- Bénéfice : Sécurité juridique, prévention des litiges, clarté pour toutes les parties.
- Risque : Une convention mal rédigée peut être source de nouvelles difficultés.
- Anticipez l’impact sur la trésorerie : Si la société pourrait avoir besoin de bloquer les fonds, insérez des clauses de blocage claires et valides. Liez le remboursement à des indicateurs objectifs de la santé financière de la société (trésorerie disponible suffisante, ratio financier respecté, décision collective des associés).
- Bénéfice : Protection de la trésorerie de la société, évite une demande de remboursement qui mettrait l’entreprise en péril.
- Risque : Si la clause est ambiguë ou jugée purement potestative, elle sera inefficace.
- Soyez vigilant face aux difficultés financières : En cas de risque de procédure collective, abstenez-vous de rembourser les comptes courants pendant la période suspecte. Si des fonds sont nécessaires pendant la procédure, assurez-vous que les nouvelles avances remplissent les conditions légales pour bénéficier des privilèges de « new money » ou « post-money ».
- Bénéfice : Éviter l’annulation des remboursements effectués, optimiser la chance de récupérer les fonds avancés pendant la procédure.
- Risque : Perte des fonds avancés avant la procédure s’ils ne peuvent être remboursés dans le cadre du plan ou de la liquidation.
La complexité des règles entourant les comptes courants d’associés, notamment en cas de difficultés, souligne l’importance d’un accompagnement juridique. Une gestion proactive et des conseils avisés peuvent sécuriser vos investissements et la stabilité de votre entreprise.
FAQ sur le Remboursement des Comptes Courants d’Associés
Le droit au remboursement dépend-il de la santé financière de la société ?
En principe non, le compte courant est remboursable à tout moment, même si la trésorerie de la société est insuffisante. Cependant, une clause statutaire ou conventionnelle peut valablement lier le remboursement à l’état de la trésorerie ou à la situation financière, à condition qu’elle ne soit pas purement potestative. De plus, en cas de difficultés avérées, un juge peut accorder à la société un délai de grâce.
Une clause dans les statuts peut-elle bloquer définitivement le remboursement ?
Les statuts peuvent prévoir des clauses limitant le droit au remboursement, comme une durée déterminée ou un remboursement subordonné à une décision collective. Cependant, une clause qui donnerait un pouvoir discrétionnaire total à la gérance serait nulle. Toute dérogation au principe de remboursement immédiat doit être formulée de manière claire et univoque. Un blocage définitif n’est généralement pas possible, sauf en cas d’abandon pur et simple de la créance par l’associé.
Que se passe-t-il si un associé cède ses parts et son compte courant ? Qui est responsable des appels de fonds ?
Lorsque les droits sociaux sont cédés en même temps que le compte courant d’associé, la créance de remboursement est transférée au cessionnaire. Concernant la contribution aux pertes (qui peut être imputée en compte courant dans certaines sociétés), la responsabilité de l’appel de fonds dépend de la date de la décision de l’assemblée des associés par rapport à la date de la cession des titres. L’accord entre cédant et cessionnaire sur ce point n’est pas opposable à la société.
Mon avance en compte courant est-elle prioritaire si la société est en procédure collective ?
En général, non. Une créance de compte courant née avant l’ouverture de la procédure est une créance chirographaire (simple) qui doit être déclarée. Elle ne sera remboursée qu’après les créanciers privilégiés, et souvent partiellement ou pas du tout. Seules les avances de nouvelle trésorerie consenties après le jugement d’ouverture et répondant à des besoins spécifiques de la procédure ou du plan peuvent bénéficier de privilèges leur assurant un rang de paiement supérieur.
Notre cabinet dédié au droit des sociétés peut vous conseiller utilement.
N’hésitez pas à prendre rendez-vous