La rupture d’une relation commerciale établie constitue une problématique majeure pour les entreprises, encadrée par l’article L. 442-1, II du code de commerce (anciennement L. 442-6, I-5°). Ce texte exige le respect d’un préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et des usages de la profession. Une question délicate se pose fréquemment en pratique : les conditions commerciales doivent-elles être maintenues à l’identique pendant toute la durée du préavis ? Dans un arrêt du 19 mars 2025 (Com. 19-3-2025 n° 23-23.507), la Cour de cassation apporte une réponse nuancée, en admettant que des circonstances particulières, notamment la durée exceptionnellement longue du préavis, peuvent justifier une modification progressive des conditions commerciales.
Le principe du maintien des conditions commerciales durant le préavis
La finalité du préavis et ses conséquences
Le préavis écrit exigé par l’article L. 442-1, II du code de commerce poursuit un objectif clair : permettre au partenaire commercial évincé de préparer sa reconversion en recherchant de nouveaux débouchés ou clients, ou en réorganisant son activité. C’est pourquoi la jurisprudence a traditionnellement considéré que ce préavis devait être « effectif », c’est-à-dire que la relation commerciale devait se poursuivre dans des conditions comparables à celles qui prévalaient avant la notification de la rupture.
Comme le rappelle la Cour de cassation dans l’arrêt commenté, « le préavis accordé à la suite de la rupture d’une relation commerciale établie doit être effectif, de sorte que, sauf circonstances particulières, la relation commerciale doit se poursuivre aux conditions antérieures pendant l’exécution du préavis, ce qui implique que les modifications qui peuvent lui être apportées ne doivent pas être substantielles ».
Les limites jurisprudentielles antérieures
La Cour de cassation avait déjà jugé que « sauf circonstances particulières, l’octroi d’un préavis suppose le maintien de la relation commerciale aux conditions antérieures ». Ces conditions ne sont notamment pas maintenues lorsqu’il y a une diminution significative des commandes pendant la durée du préavis.
Toutefois, la Haute juridiction n’avait pas précisé ce qu’il fallait entendre par « circonstances particulière »” susceptibles de justifier une dérogation à ce principe. L’arrêt du 19 mars 2025 vient combler cette lacune en identifiant une telle circonstance : la durée exceptionnellement longue du préavis.
L’apport de l’arrêt du 19 mars 2025 : la durée exceptionnelle du préavis comme circonstance particulière
Les faits de l’espèce
Dans cette affaire, un distributeur d’articles de sport avait informé un fabricant d’appareils d’électrostimulation, par une lettre du 27 juin 2017, d’une réduction de ses achats pour l’année 2018 de 15%. Puis, par une seconde lettre du 26 janvier 2018, il avait notifié sa volonté de rompre définitivement la relation à compter du 1er janvier 2021, accordant ainsi un préavis de près de 35 mois.
Cette seconde lettre précisait que les achats nets, qui s’élevaient à 800.000 € en 2017, passeraient à 600.000 € en 2018, 500.000 € en 2019 et 200.000 € en 2020, avant l’arrêt total de la relation au 1er janvier 2021. Il s’agissait donc d’une réduction progressive et planifiée des commandes sur la durée du préavis.
Le fabricant, considérant que cette réduction substantielle des commandes caractérisait une rupture brutale de la relation, a engagé une action en responsabilité sur le fondement de l’article L. 442-6, I-5° du code de commerce (devenu L. 442-1, II).
La solution retenue par la Cour de cassation
La Cour de cassation a rejeté cette prétention, considérant que la rupture n’était pas brutale. Pour parvenir à cette conclusion, elle s’est fondée sur deux éléments distincts :
- Pour la première année de préavis, elle a constaté que “la relation commerciale s’était poursuivie sans modifications substantielles, puisque la baisse de volume n’était que de 15%”. Cette réduction modérée ne remettait donc pas en cause le caractère effectif du préavis.
- Pour les années suivantes (2019 et 2020), la Cour a jugé qu’il existait des « circonstances particulières » autorisant le distributeur à ne pas maintenir les conditions antérieures au-delà de la première année. Ces circonstances résidaient dans « la durée particulièrement longue du préavis (35 mois), ce qui dépassait le délai de deux ans consacré par les usages de la profession ».
La Haute juridiction admet donc qu’un préavis exceptionnellement long, dépassant largement les usages de la profession, constitue une « circonstance particulière » au sens de sa jurisprudence antérieure, justifiant une modification substantielle des conditions commerciales au-delà de la première année de préavis.
Les implications pratiques de cette décision
Une approche pragmatique favorable aux partenaires commerciaux
L’arrêt du 19 mars 2025 témoigne d’une approche pragmatique de la Cour de cassation, qui reconnaît qu’un maintien strict des conditions commerciales pendant un préavis très long peut être économiquement difficile pour l’auteur de la rupture, tout en étant potentiellement bénéfique pour le partenaire évincé qui dispose de plus de temps pour s’adapter.
Cette solution est particulièrement bienvenue car elle incite les opérateurs économiques à accorder des préavis plus longs que ceux auxquels ils sont légalement tenus, moyennant une réduction progressive du volume d’affaires. Une telle pratique peut être profitable à celui qui subit la rupture, puisqu’elle lui laisse davantage de temps pour se reconvertir et trouver de nouveaux débouchés.
Les conditions de validité d’une réduction progressive des commandes
La décision permet de dégager plusieurs conditions pour qu’une réduction progressive des commandes pendant le préavis soit considérée comme licite :
- Le préavis doit être d’une durée exceptionnellement longue,
- La réduction des commandes doit être annoncée dès la notification de la rupture, avec un calendrier précis et progressif.
- Le partenaire évincé doit disposer d’un délai suffisant pour s’adapter à cette réduction progressive.
Ces conditions cumulatives garantissent un équilibre entre la liberté contractuelle de l’auteur de la rupture et la protection légitime du partenaire évincé.
Que faut-il retenir ?
Quand peut-on modifier les conditions commerciales durant le préavis d’une rupture de relation établie ?
Si le principe reste le maintien des conditions antérieures, la Cour de cassation admet désormais qu’un préavis d’une durée exceptionnellement longue, dépassant significativement les usages de la profession, constitue une circonstance particulière autorisant une modification progressive des conditions commerciales au-delà de la première année.
Quelle est la durée de préavis à respecter pour rompre une relation commerciale établie ?
La durée dépend de plusieurs facteurs : l’ancienneté de la relation, les usages de la profession, le degré de dépendance économique du partenaire et l’existence éventuelle d’accords interprofessionnels. Dans le secteur concerné par l’arrêt, la durée habituelle maximale était de deux ans.
Quels sont les avantages d’un préavis long avec réduction progressive des commandes ?
Cette approche permet au partenaire évincé de disposer de plus de temps pour se réorganiser et trouver de nouveaux débouchés, tout en offrant à l’auteur de la rupture la possibilité d’adapter progressivement sa stratégie d’approvisionnement ou de distribution.
La notification de la rupture doit-elle contenir des informations particulières ?
Pour sécuriser juridiquement une réduction progressive des commandes, il est recommandé que la notification de rupture indique clairement et précisément le calendrier de réduction envisagé sur toute la durée du préavis, avec des chiffres précis si possible (comme dans l’affaire commentée).
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