Les procédures de prévention que sont le mandat ad-hoc ou la procédure de conciliation sont des outils précieux au service de l’entreprise en difficulté, soucieuse de trouver une solution négociée, en toute confidentialité, avec ses principaux créanciers.
La procédure de conciliation en particulier, dès lors qu’elle permet l’adoption d’un accord de conciliation avec ses principaux créanciers, lequel peut être soumis à homologation, a été dotée par le législateur d’un outil juridique « le délai de grâce » par renvoi des dispositions de l’article 611-7 alinéa 5 du code de commerce à l’article 1343-5 du code civil, particulièrement redoutable et à notre sens, et dans certains cas, totalement dévoyé.
Rappelons quelques notions : la procédure de conciliation, en matière commerciale, est ouverte par le président du tribunal de commerce compétent qui nomme un conciliateur dont la mission est de favoriser en accord entre le débiteur et ses principaux créanciers. Cette procédure est strictement confidentielle.
Par la suite, le président (et lui seul) est destinataire de la part du conciliateur de rapports sur l’avancée de cette procédure qui, aux termes des textes, ne peut durer que quatre (4) mois, renouvelable un (1) mois. S’il n’est pas question de remettre en cause l’efficacité de ces procédures dans lesquelles il existe nécessairement une certaine proximité entre les différents acteurs, lesquels visent la réussite de ladite conciliation, il n’en reste pas moins que, dans cette hypothèse, les droits d’un créancier qui n’accepterait pas de se plier aux injonctions du conciliateur sont malmenés.
Aux termes de l’article 611-7 al 5 du code de commerce : « Au cours de la procédure, le débiteur peut demander au juge qui a ouvert celle-ci de faire application de l’article 1343-5 du code civil à l’égard d’un créancier qui l’a mis en demeure ou poursuivi, ou qui n’a pas accepté, dans le délai imparti par le conciliateur, la demande faite par ce dernier de suspendre l’exigibilité de la créance. Dans ce dernier cas, le juge peut, nonobstant les termes du premier alinéa de ce même article, reporter ou échelonner le règlement des créances non échues, dans la limite de la durée de la mission du conciliateur. Le juge statue après avoir recueilli les observations du conciliateur. [..]»
Et aux termes de l’article 1343-5 al 1er du civil : « Le juge peut, compte tenu de la situation du débiteur et en considération des besoins du créancier, reporter ou échelonner, dans la limite de deux années, le paiement des sommes dues ».
Il faut d’emblée souligner, qu’à notre sens, les pouvoirs du président du tribunal de commerce statuant selon la procédure accélérée au fond au visa de l’article L.611-7 sont strictement encadrés et limités par les dispositions précitées. Il n’est pas juge du fond dans cette hypothèse, et ne peut donc qu’octroyer report ou échelonnement de la créance du débiteur et ce dans la limite de deux années.
Et dès lors que le Président doit faire application de l’article 1343-5 précité, il doit nécessairement, même si cette demande relève de son appréciation souveraine, prendre en considération « la situation du débiteur » et « les besoins du créancier ».
Il existe de très nombreuses casuistiques en jurisprudence quant à la notion de « situation du débiteur » qui renvoient à sa situation financière -ce qui du reste est parfaitement logique puisque l’objet de la demande est d’obtenir des délais de paiement- qui doit être objectivement obérée. Les « besoins de créancier » (rappelons qu’il est celui qui supporte déjà une inexécution contractuelle) renvoient, dans la majorité des hypothèses, à la surface financière du créancier. En effet, si le préjudice demeure, il existe différents types de créanciers et tous n’ont pas les mêmes besoins. Un particulier qui exposerait des difficultés financières réelles, ne devrait pas être traité de la même façon qu’un établissement financier.
A noter également, qu’une revue de jurisprudence permet de constater que, même s’il ne s’agit pas d’une condition posée par le texte, dès lors que le débiteur a d’ores et déjà bénéficié d’un délai de paiement important (en raison de l’inertie de son créancier par exemple), sa demande est généralement rejetée.
Qu’en est-il lorsque cette demande de délai de grâce est exprimée dans le cadre d’une procédure de conciliation ?
L’application stricte des textes voudrait une réelle prise en compte (i) tant de la situation du débiteur que (ii) des besoins du créancier. Mais dans les faits, la réussite de la conciliation, spécialement dans les dossiers où les enjeux sont importants, impose ses propres règles et le président du tribunal de commerce, qui est constamment informé de l’avancée de la conciliation, est forcément « intéressé » à sa propre décision.
Il n’est pas ici question de partialité : la connaissance intime du dossier, les enjeux, peuvent l’emporter sur l’application stricte des textes et la nécessaire balance avec les intérêts du créancier.
En définitive, le créancier se verra très souvent imposé un report de deux années de sa créance, sans considération pour ses besoins, et sans nécessairement que les difficultés financières du débiteur ne soient caractérisées. Cette « réalité » est largement assumée par le conciliateur et le débiteur, lesquels -sans que l’on ne puisse les blâmer- justifient la demande par la nécessité de ne pas compromettre un accord avec les autres créanciers (le traitement égalitaire des créanciers). Il ne s’agit donc plus d’analyser la situation financière du débiteur pour déterminer s’il serait en mesure de s’acquitter de sa dette, mais de sous peser sa situation juridique vis-à-vis des autres créanciers.
Ce n’est ni plus, ni moins qu’un moratoire qui lui est imposé.
Nous savons désormais que, depuis l’arrêt de la chambre commercial de la Cour de cassation du 25 octobre 2023 [Com. 25 oct. 2023, n°22-15776] l’appel à l’encontre des décisions rendues au visa de l’article 611-7 est heureusement possible. Espérons dès lors que les cour(s) d’appel qui pourraient avoir à connaitre de cette question, rééquilibreront les droits de chacun et feront une application proportionnée des textes, qui ne se résume pas à sacrifier les intérêts d’un créancier sans considérations pour ses besoins, non plus qu’une situation objectivement obérée pour le débiteur.
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