Action paulienne : les conditions de recevabilité précisées par la Cour de cassation
Par un arrêt du 26 juin 2025 (Cass. 3e civ., 26 juin 2025, n° 23-21.775), la troisième chambre civile de la Cour de cassation précise les conditions de recevabilité de l’action paulienne. Cette décision clarifie le degré de certitude que doit présenter la créance pour permettre au créancier de contester les actes accomplis par son débiteur en fraude de ses droits.
La question posée était la suivante : le créancier doit-il justifier d’une créance certaine et liquide au jour où il exerce l’action paulienne, ou suffit-il qu’il dispose d’un principe certain de créance ? Cette interrogation présente un intérêt pratique majeur pour les créanciers confrontés à des débiteurs organisant leur insolvabilité pendant l’instance judiciaire.
Table des matières
Le fondement légal de l'action paulienne
L’action paulienne est régie par l’article 1341-2 du code civil, qui dispose : « Le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d’établir, s’il s’agit d’un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude ». Il s’agit d’un mécanisme de protection permettant au créancier de préserver l’assiette de recouvrement de sa créance.
Le principe posé par l'arrêt du 26 juin 2025
La Cour de cassation énonce la règle suivante : « Le créancier qui exerce l’action paulienne doit justifier d’une créance certaine au moins en son principe à la date de l’acte argué de fraude ainsi, sous peine d’irrecevabilité, qu’au moment où le juge statue » (point 5 de l’arrêt).
Cette formulation appelle plusieurs observations.
En premier lieu, la créance doit être certaine « au moins en son principe ». Cela signifie que la créance n’a pas besoin d’être liquide ni exigible (le terme peut ne pas être échu). Il suffit que l’existence même de la créance soit établie.
En deuxième lieu, cette condition doit être remplie à deux moments distincts : à la date de l’acte contesté ET au moment où le juge statue. Cette double exigence temporelle garantit la permanence du droit du créancier tout au long de la procédure.
Enfin, le défaut de principe certain de créance au jour où le juge statue constitue une fin de non-recevoir, sanctionnée par l’irrecevabilité de l’action. Il s’agit donc d’une condition de recevabilité, et non d’une condition de fond.
L'application au cas d'espèce
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, les acheteurs d’une maison avaient découvert des désordres de nature décennale. La cour d’appel de Rennes a relevé les éléments suivants :
- La note d’expertise du 1er décembre 2014 constatait des infiltrations rendant la maison quasiment inhabitable ou insalubre ;
- Par ordonnance du 21 décembre 2017, le juge de la mise en état avait retenu le caractère décennal des désordres et la responsabilité de plein droit des vendeurs en qualité de constructeurs ;
- Cette ordonnance mettait à la charge des vendeurs des provisions qui, par nature, n’avaient pas vocation à éteindre définitivement la créance ni à fixer définitivement la part de responsabilité.
La Cour de cassation approuve le raisonnement de la cour d’appel : ces éléments caractérisaient un principe certain de créance tant à la date des actes argués de fraude (cessions de parts et donations effectuées en 2015) qu’au jour où la cour d’appel statuait. L’action paulienne était donc recevable.
Les conséquences pratiques de la jurisprudence du 26 juin 2025
Pour les créanciers : un accès facilité à l’action paulienne
Cette jurisprudence présente un intérêt majeur pour les créanciers en cours d’instance. Elle permet d’exercer l’action paulienne sans attendre qu’une décision définitive ait fixé le quantum de la créance.
Constituent notamment des principes certains de créance :
- Un rapport d’expertise judiciaire constatant un manquement contractuel ou un désordre de construction ;
- Une ordonnance de référé condamnant le débiteur à verser une provision ;
- Une décision de première instance, même frappée d’appel, établissant la responsabilité du débiteur ;
Le créancier peut donc agir préventivement dès lors qu’un élément judiciaire objective l’existence de sa créance, même si le montant définitif n’est pas encore arrêté. Cette possibilité est particulièrement importante dans les contentieux de longue durée.
Pour les débiteurs : un risque accru de remise en cause des actes patrimoniaux
Symétriquement, cette jurisprudence accroît le risque juridique pesant sur les actes de disposition effectués par un débiteur pendant une instance judiciaire. Les cessions de parts sociales, les donations, les ventes d’immeubles ou de fonds de commerce réalisées au profit de proches ou de sociétés contrôlées sont particulièrement exposées à l’action paulienne.
L’inopposabilité prononcée par le juge a pour effet de permettre au créancier demandeur de saisir le bien comme s’il n’avait jamais quitté le patrimoine du débiteur. Les autres créanciers ne bénéficient pas de cette inopposabilité : il s’agit d’un mécanisme individuel de protection.
Les recommandations pour l'exercice de l'action paulienne
Sécuriser un principe de créance le plus rapidement possible
Lorsqu’un litige survient avec un débiteur présentant des risques d’insolvabilité, il est recommandé d’obtenir rapidement une décision judiciaire, même provisoire, établissant le principe de la créance.
Surveiller les mouvements patrimoniaux du débiteur
La surveillance du patrimoine du débiteur doit être organisée dès l’apparition du litige. Les modifications au registre du commerce et des sociétés, les inscriptions de privilèges ou d’hypothèques, et les actes de donation publiés chez les notaires constituent autant d’indices d’une organisation de l’insolvabilité.
Respecter le délai de prescription
L’action paulienne est soumise au délai de prescription de droit commun de cinq ans prévu à l’article 2224 du Code civil. Ce délai court à compter du jour où le créancier a connu ou aurait dû connaître l’acte frauduleux. La vigilance s’impose donc pour ne pas laisser ce délai s’écouler.
Constituer la preuve de la connaissance de la fraude par le tiers
Pour les actes à titre onéreux, l’article 1341-2 du Code civil impose au créancier d’établir que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude. Cette preuve peut résulter de plusieurs éléments :
- Les liens familiaux ou professionnels entre le débiteur et le tiers acquéreur ;
- Le caractère dérisoire du prix de cession ;
- La proximité temporelle entre l’apparition de la créance et l’acte de disposition ;
- La connaissance par le tiers de l’existence d’une procédure judiciaire en cours.
FAQ - Que faut-il retenir ?
À quel moment la créance doit-elle être certaine ?
La créance doit présenter un caractère certain au moins en son principe à deux moments : à la date de l’acte argué de fraude et au jour où le juge statue. Elle n’a pas besoin d’être liquide ni exigible.
Quelles sont les sanctions en cas d'action paulienne exercée sans créance certaine ?
L’absence de créance certaine au moins en son principe au jour où le juge statue entraîne l’irrecevabilité de l’action paulienne. Cette fin de non-recevoir peut être soulevée à tout moment de la procédure.
Quels actes peuvent être contestés par l'action paulienne ?
Tous les actes juridiques accomplis par le débiteur en fraude des droits du créancier peuvent être attaqués : donations, cessions de parts sociales, ventes d’immeubles, apports en société, constitutions de sûretés au profit d’autres créanciers. Pour les actes à titre onéreux, la connaissance de la fraude par le tiers doit être démontrée.
Quel est l'effet de l'action paulienne ?
L’action paulienne ne produit pas l’annulation de l’acte frauduleux, mais son inopposabilité au créancier demandeur. L’acte demeure valable entre les parties (débiteur et tiers acquéreur), mais le créancier peut considérer que le bien n’a jamais quitté le patrimoine de son débiteur et procéder à sa saisie.
