Résiliation anticipée d'un contrat : l'indemnisation du préjudice lié à la perte d'un honoraire de résultat
Par un arrêt du 11 septembre 2025 (Civ. 3ème, 11 septembre 2025, n° 23-21.882), la troisième chambre civile de la Cour de cassation précise les modalités d’évaluation du préjudice résultant de la résiliation anticipée d’un contrat de prestation de services. Cette décision apporte des clarifications sur la distinction entre la perte de chance et le gain manqué lorsque la rémunération du prestataire dépend d’un événement incertain.
La question posée concernait l’évaluation du préjudice d’un prestataire spécialisé dans la gestion de sinistres dont le contrat prévoyait une rémunération calculée sur la base d’un pourcentage des indemnités obtenues. Le client ayant résilié unilatéralement le contrat avant son terme, le prestataire réclamait une indemnisation correspondant à l’intégralité des honoraires qu’il aurait perçus si le contrat s’était poursuivi.
Table des matières
Le principe de réparation intégrale du préjudice
L’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 (devenu article 1231-1) dispose que « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution ». Ce texte est complété par le principe de réparation intégrale du préjudice, selon lequel les dommages-intérêts dus au créancier correspondent à la perte qu’il a faite et au gain dont il a été privé, sans qu’il en résulte pour lui ni perte ni profit.
La distinction entre perte de chance et gain manqué
La Cour de cassation définit la perte de chance comme « la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable » (Civ. 1ère, 8 mars 2012, n° 11-14.234 ; Cass. ass. plén., 27 juin 2025, n° 22-21.812 et n° 22-21.146). Cette notion se distingue du gain manqué par la présence d’un aléa : alors que le gain manqué suppose que le bénéfice aurait été obtenu avec certitude en l’absence de faute, la perte de chance implique que ce résultat demeurait incertain.
Cette distinction emporte des conséquences majeures sur le quantum de l’indemnisation. La jurisprudence énonce de façon constante que « la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut pas être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » (Civ. 1ère, 9 avril 2002, n° 00-13.314 ; Com., 6 mai 2003, n° 00-10.502 ; Civ. 1ère , 9 décembre 2010, n° 09-69.490).
Le principe posé par l'arrêt du 11 septembre 2025
La Cour de cassation énonce la règle suivante : « Le préjudice résultant de la résiliation anticipée d’un contrat, lorsque celle-ci emporte la disparition d’une éventualité favorable à laquelle était subordonnée la perception par le cocontractant d’un honoraire de résultat, s’analyse en une perte de chance, qui, mesurée à la chance perdue, ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée ».
Cette formulation appelle plusieurs observations juridiques.
Premièrement, la Cour de cassation caractérise l’honoraire de résultat par sa subordination à « une éventualité favorable ». Il s’agit d’une rémunération dont le principe ou le montant dépend de la survenance d’un événement incertain au moment de la rupture du contrat.
Deuxièmement, la résiliation anticipée du contrat fait disparaître cette éventualité favorable, ce qui constitue la perte actuelle et certaine caractérisant la perte de chance. Le préjudice réside dans la privation de l’opportunité d’obtenir le résultat escompté, et non dans la privation du résultat lui-même.
Troisièmement, l’indemnisation ne peut être égale au montant intégral de l’honoraire qui aurait été perçu si le contrat avait été exécuté jusqu’à son terme. Elle doit être « mesurée à la chance perdue », c’est-à-dire proportionnée à la probabilité que l’événement favorable se réalise.
L'application au cas d'espèce
Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation, une société civile immobilière propriétaire d’un ensemble commercial avait conclu avec un prestataire spécialisé une convention de gestion de sinistre. L’article 7 du contrat stipulait que les honoraires du prestataire seraient « établis sur la base de 50 % des sommes excédant le coût des travaux nécessaires à rendre l’ouvrage conforme à sa destination ». La société avait résilié unilatéralement le contrat avant son terme.
La cour d’appel avait retenu qu « il est incontestable que la société GRC consulting devait percevoir une rémunération si la convention de gestion avait été poursuivie jusqu’à son terme » et qu’ « il n’existait aucune incertitude ni aléa sur le fait que les deux sociétés appelantes obtiendraient des indemnités de l’assureur dommages-ouvrage puisque ni la réalité des désordres ni leur caractère décennal n’étaient contestés ». Sur cette base, la cour d’appel avait condamné la société à verser au prestataire une somme de 1 470 540,06 euros correspondant à l’intégralité des honoraires calculés selon la formule contractuelle.
La Cour de cassation censure ce raisonnement. Elle relève que « les honoraires à percevoir par la société GRC consulting dépendaient d’une éventualité favorable, incertaine à la date de la résiliation, sinon quant au principe du moins quant au quantum de l’honoraire de résultat ». Même si le principe de l’obtention d’indemnités paraissait acquis compte tenu de la réalité des désordres, le montant de ces indemnités restait incertain. L’assiette de calcul des honoraires n’était donc pas définitivement déterminée au moment de la résiliation du contrat.
La Cour de cassation en déduit que « le préjudice né de la rupture fautive de la convention par la SCI s’analysait en une perte d’une chance » et non en un gain manqué. L’indemnisation devait donc être inférieure au montant intégral des honoraires calculés sur la base du protocole transactionnel finalement conclu entre la société et l’assureur.
FAQ - Que faut-il retenir ?
Quelle est la différence entre perte de chance et gain manqué ?
La perte de chance suppose l’existence d’un aléa : l’obtention du résultat restait incertaine au moment du fait dommageable. Le gain manqué suppose au contraire que le résultat aurait été obtenu avec certitude. L’indemnisation de la perte de chance est toujours inférieure au montant du résultat espéré, alors que le gain manqué s’indemnise intégralement.
Comment le juge évalue-t-il le montant de la perte de chance ?
Le juge procède à une évaluation souveraine en fonction des circonstances concrètes de l’espèce : état d’avancement du dossier, probabilité de succès, éléments objectifs permettant d’apprécier le montant probable. Cette évaluation n’est pas soumise à une méthode mathématique précise et relève du pouvoir souverain des juges du fond.
La résiliation anticipée s'indemnise-t-elle toujours selon la perte de chance ?
Non. Si le montant de la rémunération était déjà certain et déterminé au moment de la résiliation, le préjudice s’analyse en un gain manqué indemnisable intégralement. La requalification en perte de chance ne s’applique que lorsque subsiste une incertitude sur le principe ou le quantum de la rémunération.
