Bien souvent lorsque plusieurs associés décident de s’unir et de constituer ensemble une société, ils le font avec une certaine désinvolture, non en raison d’une volonté affirmée de ne pas se préoccuper de la documentation juridique (statuts, pacte d’associés), mais en raison d’une méconnaissance réelle des mécanisme et enjeux qui gouvernent le droit des sociétés.
Nous le disons sans cesse, plusieurs fois par semaine, la rédaction des statuts -surtout en présence de deux associés minimum- n’est pas une simple formalité administrative « nécessaire » à la création de la société commune : c’est le pacte constitutif qui va régir les règles de fonctionnement de cette dernière et notamment l’agrément d’un nouvel associé, l’exclusion d’un associé, les règles de majorité pour décider la prise de telle ou telle décision, etc..
Les sites internet qui proposent des packs tout compris à des prix dérisoires n’alertent, ni ne conseillent les futurs associés sur les clauses essentielles à ajouter ou à adapter en fonction des considérations propres à l’opération ainsi qu’au nécessaire respect des équilibres entre les différentes parties.
L’une des hypothèses rencontrée couramment concerne les sociétés civiles. Il est fréquent en effet que la société soit constituée (i) sans clause d’exclusion, (ii) sans pacte d’associés, (iii) avec des sociétés égalitaires (50/50) et (iv) cogérants.
Dans cette configuration, l’émergence d’un conflit entre les associés aboutira à un fonctionnement difficile, erratique, voire impossible de la société. Les associés en question, qui ne communiqueront plus, seront confrontés à deux choix : le retrait ou la dissolution judiciaire.
C’est ce cas de figure particulier qui sera abordé ici.
Le retrait de l’associé pour juste motif
Hormis les cas d’un droit de retrait statutaire dont l’exercice serait possible, c’est-à-dire accordé par l’assemblée générale de la société, l’associé qui désirerait sortir de la société en raison d’une mésentente avec le ou les autre(s) associé(s) ou pour un juste motif, dispose de la possibilité de saisir la juridiction compétente aux fins de se voir autoriser à se retirer.
Cette possibilité est prévue par l’article 1869 du code civil « Sans préjudice des droits des tiers, un associé peut se retirer totalement ou partiellement de la société, dans les conditions prévues par les statuts ou, à défaut, après autorisation donnée par une décision unanime des autres associés. Ce retrait peut également être autorisé pour justes motifs par une décision de justice. A moins qu’il ne soit fait application de l’article 1844-9 (3ème alinéa), l’associé qui se retire a droit au remboursement de la valeur de ses droits sociaux, fixée, à défaut d’accord amiable, conformément à l’article 1843-4 ».
Il existe de nombreux exemples de retrait pour juste motif : perte de l’affectio societatis, privation du droit de vote, abuse de majorité, absence d’assemblée générale, etc.
Une fois l’autorisation judiciaire obtenue, les parties se retrouveront vraisemblablement devant un expert missionné par la juridiction aux fins d’établir le prix de rachat des parts sociales de l’associé retrayant et, en l’absence de précisions statutaires ou de pacte d’associés, l’évaluation sera réalisée par l’expert dans des conditions normales, c’est-à-dire exclusives de tout accord entre les parties. C’est là encore un point de vigilance pour les associés. Il arrive en effet qu’à l’occasion de la constitution de la société, au moment des discussions préalables ayant décidées les associés à s’unir, que des considérations financières aient été exposées et acceptées oralement et notamment les conditions de rachat des parts sociales. Or, sans précision statutaire ou pacte d’associés et sans écrit, l’expert ne pourra pas tenir compte de ces allégations.
Enfin, si en présence d’un blocage manifeste de la société, aucun des deux associés ne souhaite se retirer ou que le retrait ne libèrerait pas l’associé retrayant d’un engagement financier (un engagement de caution par exemple qui nécessiterait un accord de la banque), seule reste l’hypothèse d’une dissolution judiciaire.
La dissolution judiciaire
La dissolution judiciaire est prévue par l’article 1844-7 5° du code civil qui dispose que la société prend fin : « par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d’un associé pour justes motifs, notamment en cas d’inexécution de ses obligations par un associé ou de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ».
Cette possibilité, qui est analysée comme l’ultime recourt par la jurisprudence, est strictement encadrée. La situation de blocage doit être caractérisée, ce qui est plus aisé à démontrer lorsque la société ne comprend que deux associés égalitaires et également cogérants.
On ajoutera également que la jurisprudence tend à conditionner (pour les sociétés civiles), même si elle ne le formule pas ainsi, la mise en œuvre du droit de retrait préalablement à toute demande de dissolution judiciaire.
Cette application des textes n’est pas satisfaisante dès lors que le texte lui-même ne prévoit pas cette hiérarchie. Du reste le droit de retrait et la dissolution judiciaire ne répondent pas aux mêmes objectifs et n’ont pas les mêmes effets.
Que faut-il retenir ?
La réflexion initiale, l’anticipation des besoins et des éventuels conflits sont essentiels et doivent impérativement être préalable à la rédaction des actes qui gouvernent la vie des sociétés. Il est toujours plus difficile, voire impossible, de trouver une issue « convenable » lorsque les actes sur lesquels le pacte commun est fondé sont carencés, pour ne pas dire totalement inefficaces.
Le coût, également, sera bien plus élevé dans l’hypothèse de la survenance d’un conflit que le coût qui aurait été exposé initialement.
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