Administrateur Provisoire : un créancier peut-il exiger sa désignation ?
Imaginez une entreprise cliente confrontée à des turbulences internes, avec des difficultés de gouvernance. En tant que créancier, vous pourriez être tenté d’agir pour protéger vos intérêts financiers. Mais avez-vous le droit de demander la nomination d’un administrateur provisoire pour cette société ? Ou, en tant que dirigeant, comment protéger votre entreprise contre des ingérences extérieures, même légitimes, qui pourraient déstabiliser sa direction ?
La désignation d’un administrateur provisoire est une mesure judiciaire exceptionnelle et grave, visant à remédier à une situation de crise au sein d’une société. Ses enjeux pratiques et financiers sont considérables, pouvant affecter la survie même de l’entreprise
Table des matières
Le rôle de l'administrateur provisoire et ses conditions de nomination
Un administrateur provisoire est une personne désignée par un juge, généralement en référé, pour gérer temporairement une société en situation de crise, lorsque son fonctionnement normal est compromis. Cette mesure, souvent qualifiée d’« exceptionnelle » ou de « grave », n’est envisagée que lorsque le fonctionnement des organes de la société est impossible ou que celle-ci est menacée par une mauvaise gestion. Par exemple, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 mai 2025, un président de société était accusé d’avoir détourné des fonds, ce qui avait incité des sociétés créancières à solliciter la désignation d’un administrateur provisoire.
L’objectif de cette désignation est de rétablir un fonctionnement sain de la société et de protéger l’intérêt social, et non de garantir les droits de créanciers spécifiques. La jurisprudence a longtemps tenté de limiter l’action des tiers à la société, exigeant l’existence de « liens de droit directs » pour demander une telle désignation.
La distinction clé : Qualité à agir vs. Intérêt à agir
L’article 31 du code de procédure civile dispose que « l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention ». Pendant longtemps, cette notion d’« intérêt légitime à agir » a pu prêter à confusion concernant l’action en désignation d’un administrateur provisoire.
Aux termes d’un arrêt en date du 22 janvier 2025, la Chambre commerciale de la Cour de cassation avait d’ailleurs affirmé que « toute personne justifiant d’un intérêt légitime à agir est recevable à demander la désignation d’un administrateur provisoire ». Cette décision laissait entrevoir une ouverture plus large aux demandeurs, y compris potentiellement aux créanciers.
Cependant, l’arrêt commenté (Com. 7 mai 2025, n° 23-20.471) apporte une clarification nette : celle entre l’intérêt à agir et la qualité à agir et « le créancier d’une société n’a pas qualité pour agir en désignation d’un administrateur provisoire de celle-ci ».
Ce qu’il faut retenir : un créancier ne dispose pas de la qualité à agir pour demander la désignation d’un administrateur provisoire, même s’il peut justifier d’un intérêt légitime
Implications pratiques de cette nouvelle jurisprudence pour les sociétés et les créanciers
Cette position de la Cour de cassation a des conséquences directes et importantes :
Pour les créanciers : Cette voie d’action leur est désormais fermée. La Cour met en avant le principe de non-ingérence des tiers dans la gestion de la société. L’objectif est de protéger la société des actions qui visent uniquement la protection des intérêts des créanciers, surtout tant que la société est solvable (c’est-à-dire « in bonis »). Pour un créancier, la seule issue pour agir pourrait être d’attendre que la société ne soit plus in bonis et entre dans le cadre du droit des procédures collectives, qui est, par nature, plus réceptif aux préoccupations des créanciers6.
Pour les sociétés et dirigeants : Cette jurisprudence offre une protection accrue. Elle renforce la stabilité de la gouvernance en écartant des actions qui, même si elles étaient vouées à l’échec, pourraient imposer une charge non négligeable à la société et créer une forte incertitude. Les dirigeants sont ainsi mieux protégés face aux tentatives d’un créancier de remettre en cause leur direction.
Ce qu’il faut retenir : Cette décision vise à protéger la stabilité des sociétés et la gouvernance, mais elle ferme une porte d’action aux créanciers qui pourraient se sentir lésés par une mauvaise gestion tant que la société est solvable.
Conseils pratiques pour votre entreprise
Face à ces évolutions jurisprudentielles, il est crucial d’adapter votre approche, que vous soyez dirigeant ou créancier :
Pour les sociétés et dirigeants : Mettez en place une gouvernance robuste, transparente et proactive. Une gestion rigoureuse et une communication claire peuvent anticiper les litiges et dissuader les actions externes, y compris celles des créanciers.
Pour les créanciers : Si vous êtes un créancier et que vous constatez des dysfonctionnements dans une société qui vous doit de l’argent, et que cette société est encore in bonis, l’action en désignation d’un administrateur provisoire n’est plus une option. Il vous faudra explorer d’autres voies juridiques, telles que les actions en responsabilité contre les dirigeants (si une faute séparable de leurs fonctions est prouvée), ou attendre l’ouverture éventuelle de procédures collectives pour faire valoir vos droits.
Pour tous : Sollicitez un conseil juridique spécialisé en droit des sociétés dès les premiers signes de tensions ou de doutes sur la gouvernance d’une société. Une analyse précoce par un expert permet d’identifier la stratégie la plus adaptée à votre situation et de vous accompagner dans les démarches, qu’il s’agisse de prévention ou de défense de vos intérêts.
FAQ - Que faut-il retenir ?
Qu'est-ce qu'une "action attitrée" et pourquoi est-ce pertinent ici ?
Une action attitrée est une action en justice dont l’exercice est réservé à des personnes spécifiques déterminées par la loi ou le règlement. La décision du 7 mai 2025, en exigeant une « qualité à agir » au-delà du simple « intérêt à agir », se rapproche de cette notion
Une société "in bonis" peut-elle être concernée par la désignation d'un administrateur provisoire ?
Oui, elle peut l’être. Bien que la bonne santé financière ait été historiquement un critère pour écarter l’ingérence des tiers dans la gestion
Si un créancier ne peut pas agir en désignation d'un administrateur provisoire, qui le peut ?
Généralement, les acteurs internes à la société (comme les associés ou les dirigeants) ou toute personne justifiant de « liens de droit directs » avec la société peuvent agir. La décision du 7 mai 2025 renforce cette limitation aux personnes les plus proches de la société.