Accueil La prescription en matière de bail commercial : entre continuité et changement

La prescription en matière de bail commercial : entre continuité et changement

Le bail commercial est un contrat qui confère au locataire le droit au renouvellement de son bail, sauf si le bailleur lui verse une indemnité d’éviction. Ce droit, appelé aussi « propriété commerciale », est d’ordre public et vise à protéger le fonds de commerce du locataire. Toutefois, certaines parties cherchent à contourner ce statut protecteur en concluant des contrats dérogatoires, tels que des baux dérogatoires, des conventions d’occupation précaire, des baux saisonniers ou des contrats de location-gérance. Ces contrats peuvent faire l’objet d’une action en requalification en bail commercial, qui permet au locataire de revendiquer l’application du statut des baux commerciaux et de bénéficier du droit au renouvellement.

Toutefois, cette action en requalification est soumise à un délai de prescription, c’est-à-dire un délai au-delà duquel elle ne peut plus être exercée. La question du jeu de la prescription en matière de bail commercial a fait l’objet de plusieurs arrêts importants de la Cour de cassation, rendus entre la fin de l’année 2022 et le premier semestre 2023. Ces arrêts illustrent à la fois la continuité et le changement de la jurisprudence sur ce sujet.

L’imprescriptibilité de l’action tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial statutaire à l’issue d’un bail dérogatoire

Le bail dérogatoire est un contrat qui permet aux parties de déroger au statut des baux commerciaux pour une durée maximale de trois ans. Si le locataire reste et est laissé en possession à l’expiration du bail dérogatoire, il s’opère un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux, en vertu de l’article L. 145-5 du code de commerce. Le locataire peut alors demander à faire constater l’existence de ce bail statutaire, qui lui confère le droit au renouvellement. La Cour de cassation a affirmé, dans un arrêt du 25 mai 2023 (Civ. 3e, 25 mai 2023, n° 21-23.007), que cette demande n’est soumise à aucune prescription, ni biennale, ni quinquennale. Elle a ainsi confirmé et amplifié sa jurisprudence antérieure, qui avait déjà écarté le jeu de la prescription biennale (Civ. 3e, 1er oct. 2014, n° 13-16.806). La Cour de cassation a fondé sa solution sur le fait que la demande tendant à faire constater l’existence d’un bail statutaire résulte du seul effet de l’article L. 145-5 du code de commerce, qui se suffit à lui-même et qui ne requiert aucune autre condition. Il s’agit d’un effet légal du statut, qui se forme de plein droit par le maintien en possession du locataire. Cette solution montre l’autonomie du régime du bail dérogatoire, qui échappe à toute prescription, et la vigilance qu’il faut avoir à l’arrivée du terme, car le bailleur ou le locataire pourra, selon son intérêt, revendiquer à tout moment la transmutation du bail dérogatoire en bail statutaire.

La soumission de l’action en requalification d’un contrat en bail commercial à la prescription biennale de l’article L. 145-60 du code de commerce

L’action en requalification d’un contrat en bail commercial est différente de l’action tendant à faire constater l’existence d’un bail statutaire. Elle vise à remettre en cause la qualification donnée par les parties à leur contrat, qui n’est pas conforme à la réalité juridique. Par exemple, les parties peuvent avoir conclu une convention d’occupation précaire, un bail saisonnier ou un contrat de location-gérance, alors qu’en réalité, il s’agit d’un bail commercial. La Cour de cassation a jugé de manière constante que cette action est soumise à la prescription biennale de l’article L. 145-60 du code de commerce, qui prévoit que « toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre se prescrivent par deux ans ». Elle a confirmé cette solution dans deux arrêts rendus les 7 décembre 2022 (Civ. 3e, 7 déc. 2022, n° 21-23.103) et 25 janvier 2023 (Civ. 3e, 25 janv. 2023, n° 21-24.394), en rejetant l’argument selon lequel l’action en requalification serait imprescriptible en vertu de l’article L. 145-15 du code de commerce, qui répute non écrits les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit au renouvellement. La Cour de cassation a estimé que ce texte ne s’applique qu’aux clauses illicites d’un bail commercial, et non aux contrats non soumis au statut par la volonté des parties. Cette solution a été critiquée par une partie de la doctrine, qui a fait valoir que la fausse qualification retenue par les parties constitue un arrangement destiné à faire échec au droit au renouvellement, et que l’imprescriptibilité du réputé non écrit devrait s’appliquer à l’action en requalification. Elle aboutit aussi à une situation paradoxale, où un bail commercial contenant des clauses contraires à l’ordre public statutaire s’avère plus protecteur qu’une convention autrement qualifiée contenant les mêmes clauses illicites, puisque dans le premier cas, lesdites clauses peuvent être réputées non écrites à tout moment, alors que dans le second cas, il faut au préalable obtenir la requalification en bail commercial, action soumise à la prescription biennale.

Le point de départ de la prescription de l’action en requalification en présence de contrats successivement renouvelés : revirement de jurisprudence.

Si la Cour de cassation a maintenu sa jurisprudence soumettant l’action en requalification à la prescription biennale, elle a en revanche opéré un revirement de jurisprudence quant au point de départ de ce délai, dans un arrêt du 25 mai 2023 (Civ. 3e, 25 mai 2023, n° 22-15.946). Elle a jugé que le délai de prescription biennale court, même en présence d’une succession de contrats distincts dérogatoires aux dispositions du statut des baux commerciaux, à compter de la conclusion du contrat dont la requalification est recherchée. Auparavant, elle jugeait que le délai courait à compter de la date de conclusion du contrat initial, peu important que celui-ci ait été renouvelé par avenants successifs ou tacitement reconduit. Ce revirement de jurisprudence améliore la position des demandeurs à l’action en requalification, qui ont désormais plus de chances que leur action aboutisse, puisque chaque renouvellement du contrat fera courir un nouveau délai de deux ans. Il atténue aussi la rigueur de la solution précédente, qui était contestable au regard des objectifs poursuivis par la loi Pinel, qui visait à renforcer la protection des locataires commerciaux. Il faut toutefois noter que le demandeur à la requalification devra veiller, en pratique, à demander la requalification du dernier contrat conclu, pour pouvoir bénéficier de la nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation.

En conclusion, la question de la prescription en matière de bail commercial présente des enjeux importants pour les parties, qui doivent être attentives aux délais pour agir en justice. La jurisprudence de la Cour de cassation sur ce sujet montre à la fois de la continuité et du changement, selon qu’elle concerne l’action tendant à faire constater l’existence d’un bail statutaire ou l’action en requalification d’un contrat en bail commercial. Elle illustre aussi la complexité et la diversité des situations contractuelles qui peuvent se présenter en pratique, et qui appellent parfois des solutions nuancées et adaptées.

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