L’adoption des décisions collectives dans les SAS : l’Assemblée plénière fixe la règle de la majorité des voix exprimées
Table des matières
La société par actions simplifiée (SAS) est un véhicule juridique prisé pour sa grande souplesse d’organisation, qui laisse une large place à la liberté statutaire. Cependant, cette liberté trouve ses limites dans certains principes fondamentaux du droit des sociétés, qui s’imposent nonobstant toute stipulation contraire. L’un de ces principes concerne les modalités d’adoption des décisions collectives des associés, et plus particulièrement la règle de majorité applicable. Dans un important arrêt du 15 novembre 2024 (Cass. Ass. plén., 15 nov. 2024, n° 23-16.670), l’Assemblée plénière de la Cour de cassation est venue poser une règle claire et impérative en la matière : toute décision collective des associés d’une SAS, qu’elle soit prévue par les statuts ou imposée par la loi, ne peut être valablement adoptée que si elle réunit au moins la majorité des voix exprimées, toute clause statutaire contraire étant réputée non écrite. Cette décision met fin à une divergence d’interprétation entre la Cour d’appel de Paris et la Cour de cassation.
Les faits de l’espèce
En l’espèce, une SAS, dont le capital était détenu par une SA et cinq personnes physiques, était présidée par une SARL. L’article 17 de ses statuts prévoyait que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés, présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré ». Lors d’une assemblée générale extraordinaire tenue le 22 octobre 2015, les associés ont décidé d’augmenter le capital social par émission de nouvelles actions, avec suppression du droit préférentiel de souscription au profit de la SARL, par 229 313 voix pour (46 %) et 269 185 voix contre (54 %). Malgré le rejet de la résolution à la majorité des voix, celle-ci a été déclarée adoptée en application de la clause statutaire précitée.
Contestée par certains associés, cette décision a fait l’objet d’une demande d’annulation portée jusqu’à la Cour de cassation. Par un premier arrêt du 19 janvier 2022, la chambre commerciale s’était montrée réticente à l’idée qu’une résolution puisse être adoptée par un nombre de voix inférieur à la majorité simple des votes exprimés. Pourtant, saisie sur renvoi, la cour d’appel de Paris a persisté dans son analyse, jugeant que les associés d’une SAS étaient libres de définir dans les statuts une procédure d’adoption des décisions collectives qui n’applique pas une règle de majorité, de sorte que la délibération litigieuse était valable.
La décision de l’assemblée plénière
C’est cette décision que vient censurer l’Assemblée plénière au visa des articles 1844, alinéa 1er, et 1844-10, alinéas 2 et 3, du code civil et L. 227-9 du code de commerce.
La Cour suprême rappelle en premier lieu trois grands principes gouvernant le droit des sociétés : le droit de tout associé de participer aux décisions collectives (C. civ., art. 1844, al. 1er) ; la nullité des clauses statutaires contraires aux dispositions impératives du titre IX du livre III du Code civil (C. civ., art. 1844-10, al. 2 et 3) ; et la compétence des statuts de la SAS pour déterminer les décisions relevant de la collectivité des associés et leurs modalités d’adoption, sous réserve des attributions légalement dévolues aux assemblées d’associés (C. com., art. L. 227-9, al. 1er et 2).
S’appuyant sur ces fondements, l’Assemblée plénière énonce ensuite la règle centrale de sa décision : une décision collective d’associés ne peut être tenue pour adoptée que si elle rassemble en sa faveur le plus grand nombre de voix. Elle précise que toute autre règle conduirait à l’absurdité de considérer que la collectivité des associés pourrait adopter simultanément deux décisions contraires. Il s’en déduit, selon la Cour, que la décision collective des associés d’une SAS, qu’elle soit statutaire ou légale, ne peut être valablement adoptée qu’à la majorité des voix exprimées, nonobstant toute clause contraire qui serait alors réputée non écrite.
Ce faisant, l’Assemblée plénière affirme la primauté de la règle démocratique de la majorité sur le principe de liberté contractuelle dans l’organisation des SAS. Si les statuts peuvent aménager les conditions de majorité (majorité simple, qualifiée, unanimité…), ils ne sauraient s’affranchir de l’exigence d’un vote majoritaire, qui relève de l’essence même du processus décisionnel collectif.
Que faut-il retenir ?
Les associés d’une SAS peuvent-ils librement définir dans les statuts une règle de majorité autre que celle de la majorité simple des voix exprimées ?
Non, l’Assemblée plénière affirme que toute décision collective des associés d’une SAS, prévue par les statuts ou imposée par la loi, doit être adoptée à la majorité des voix exprimées. Toute clause statutaire contraire est réputée non écrite.
Quelles sont les conséquences pratiques de cette décision ?
Cet arrêt rappelle que la liberté contractuelle dans l’aménagement du fonctionnement des SAS doit respecter certains principes intangibles, au premier rang desquels figure la règle majoritaire dans l’adoption des décisions collectives. Il invite à la prudence dans la rédaction des clauses statutaires et à un contrôle accru de leur licéité.
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