La cotitularité d’un bail rural est une situation juridique fréquente, notamment dans le cadre familial ou sociétaire. Lorsque l’un des copreneurs cesse son activité, se pose la question du devenir du bail et des obligations du copreneur restant en place. L’article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime prévoit une procédure permettant au copreneur actif de demander la poursuite du bail à son seul nom. Mais qu’advient-il si cette procédure n’est pas mise en œuvre ? Le bailleur peut-il invoquer ce manquement pour obtenir la résiliation du bail ? Dans trois arrêts rendus le 23 janvier 2025 (Civ. 3ème, 23 janv. 2025, n° 23-18.984, n° 23-18.985 et n° 23-18.986), la Cour de cassation apporte une réponse claire à cette problématique pratique, consolidant une jurisprudence récente favorable aux preneurs.
Le cadre légal de la cotitularité du bail rural
Le bail rural peut être conclu au profit de plusieurs personnes, qu’on désigne comme “copreneurs”. L’article L. 411-35 du code rural et de la pêche maritime réglemente notamment la cession du bail rural, qui est en principe interdite sauf exceptions légales strictement encadrées.
Le troisième alinéa de cet article prévoit spécifiquement le cas où l’un des copreneurs cesse son activité : « Le copreneur qui continue à exploiter peut demander au bailleur par lettre recommandée avec demande d’avis de réception que le bail se poursuive à son seul nom. » Cette disposition vise principalement à permettre au copreneur restant de préserver sa faculté de céder ultérieurement le bail dans les conditions légales, notamment à son conjoint ou à ses descendants.
La question de la sanction en cas d’absence de régularisation
En pratique, il arrive fréquemment que le copreneur qui poursuit l’exploitation ne procède pas à la formalité prévue par l’article L. 411-35. Cette situation soulève une question cruciale : le défaut de régularisation constitue-t-il un manquement susceptible d’entraîner la résiliation du bail ?
Certains bailleurs ont tenté d’obtenir la résiliation sur le fondement de l’article L. 411-31, II, 1° du code rural, qui permet la résiliation en cas « d’agissements du preneur de nature à compromettre la bonne exploitation du fonds, notamment le fait qu’il ne dispose pas de la main-d’œuvre nécessaire aux besoins de l’exploitation » ou en cas de cession prohibée du bail.
La position claire de la Cour de cassation
Dans ses trois arrêts du 23 janvier 2025, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence récente en rappelant deux principes essentiels :
- La formalité prévue par l’article L. 411-35 alinéa 3 n’est qu’une “simple faculté” pour le copreneur restant, et non une obligation. Son non-usage ne constitue pas une infraction aux dispositions légales susceptible de justifier une résiliation du bail.
- En cas de mise à disposition des biens loués à une société par plusieurs copreneurs, l’abandon de l’exploitation par l’un des copreneurs n’est pas suffisant pour caractériser une cession prohibée du bail. Encore faut-il que cette situation cause un préjudice au bailleur.
La Cour précise en effet que « lorsque l’un des copreneurs cesse de participer à l’exploitation du bien loué mis à la disposition d’une société dont il est associé, le bailleur est tenu de démontrer que ce manquement est de nature à lui porter préjudice ».
Les implications pratiques pour les bailleurs et preneurs
Cette jurisprudence emporte plusieurs conséquences pratiques importantes :
Pour le copreneur restant en place :
- Il conserve la faculté de régulariser sa situation à tout moment par LRAR adressée au bailleur
- L’absence de régularisation ne l’expose pas à un risque de résiliation du bail
- Il doit toutefois veiller à participer effectivement à l’exploitation, surtout en cas de mise à disposition des biens à une société
Pour le bailleur :
- Il ne pourra obtenir la résiliation du bail sur le seul fondement de l’absence de régularisation
- En cas de mise à disposition des biens à une société, il devra prouver que la cessation d’activité de l’un des copreneurs lui cause un préjudice spécifique
- Il pourra néanmoins invoquer d’autres manquements éventuels aux obligations du statut du fermage
Que faut-il retenir ?
Quelle est la portée de la formalité prévue par l’article L. 411-35 du Code rural en cas de cessation d’activité d’un copreneur ?
La formalité permettant au copreneur restant de demander par LRAR que le bail se poursuive à son seul nom n’est qu’une simple faculté dont le but est de régulariser sa situation et de préserver sa capacité à céder ultérieurement le bail dans les conditions légales.
Le non-respect de cette formalité constitue-t-il un motif de résiliation du bail ?
Non, le non-usage de cette faculté ne constitue pas une infraction aux dispositions de l’article L. 411-35 susceptible d’entraîner la résiliation du bail sur le fondement de l’article L. 411-31, II, 1° du code rural.
Quelles preuves doit apporter le bailleur qui souhaite obtenir la résiliation du bail lorsqu’un copreneur a cessé son activité ?
Lorsque l’un des copreneurs cesse de participer à l’exploitation du bien loué mis à disposition d’une société dont il est associé, le bailleur doit démontrer que ce manquement lui cause un préjudice spécifique.
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