Recours contre une décision de rétrocession SAFER : l’intérêt à agir d’un candidat co-acquéreur clarifié
Les SAFER jouent un rôle crucial dans la régulation du marché foncier agricole en France. Dotées d’un droit de préemption, elles peuvent acquérir des terres pour les rétrocéder ensuite à des candidats dont les projets répondent aux objectifs légaux de politique foncière agricole. Cette rétrocession peut faire l’objet de contestations par les candidats évincés, mais encore faut-il que ceux-ci disposent d’un intérêt à agir. Dans un arrêt du 13 mars 2025 (Civ. 3, 13 mars 2025, n° 23-20.390), la Cour de cassation précise les contours de cet intérêt à agir dans une situation particulière : celle d’un candidat ayant déposé un projet d’acquisition conjoint avec un autre candidat, mais agissant seul pour contester la décision de rétrocession.
La qualité pour agir en contestation d’une rétrocession SAFER
Le cadre juridique des contestations contre les décisions de rétrocession
Les décisions de rétrocession prises par les SAFER sont encadrées par les articles L. 143-14 et R. 142-1 du code rural et de la pêche maritime. Les décisions de rétrocession prises par les SAFER peuvent faire l’objet d’un recours ouvert à tout candidat à l’attribution d’un bien.
Toutefois, l’étendue exacte de cette qualité pour agir peut soulever des questions pratiques, particulièrement lorsque plusieurs candidats s’associent pour présenter un projet commun d’acquisition. Un candidat ayant déposé un projet conjoint avec un autre peut-il agir seul en justice pour contester la décision de rétrocession qui lui est défavorable ?
L’espèce soumise à la Cour de cassation
Dans l’affaire jugée le 13 mars 2025, un exploitant agricole s’était porté candidat à deux appels d’offres lancés par une SAFER les 22 décembre 2016 et 16 février 2017 concernant diverses parcelles agricoles. Pour le second appel à candidatures, cet exploitant avait déposé une candidature conjointe avec un autre agriculteur, formalisant une fiche de candidature unique pour l’acquisition des terres par moitié.
La SAFER a finalement décidé de rétrocéder les parcelles à une SCI. Cette décision a été publiée par voie d’affichage en mairie le 22 janvier 2018, sans que l’exploitant candidat n’en soit personnellement informé.
Estimant cette procédure irrégulière, l’exploitant a agi seul en justice pour contester la décision de rétrocession, sans être accompagné de son co-candidat. Le tribunal judiciaire, puis la cour d’appel de Grenoble, ont déclaré son action irrecevable, au motif qu’ayant déposé une candidature conjointe, il n’avait pas qualité pour agir seul.
La solution dégagée par la Cour de cassation
La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles L. 143-14 et R. 142-1 du code rural et de la pêche maritime. Elle pose un principe clair : « la décision de rétrocession de parcelles acquises à l’amiable par une SAFER peut faire l’objet d’un recours par tout candidat à cette rétrocession. »
Elle précise ensuite que « le fait que la mention du projet d’acquisition de l’ensemble des parcelles au prix demandé soit commun avec celui d’un autre candidat ne prive pas un candidat de la qualité pour agir seul en annulation de la décision de rétrocession à un tiers et de ses actes subséquents. »
Cette solution consacre donc l’autonomie procédurale des co-candidats dans les recours contre les décisions de rétrocession des SAFER. Le dépôt d’un projet commun ne crée pas une indivisibilité procédurale qui contraindrait les co-candidats à agir ensemble en justice.
Portée pratique de la décision et recommandations
Implications pour les candidats à une rétrocession SAFER
Cette décision présente un intérêt pratique considérable pour les candidats à l’acquisition de terres agricoles par l’intermédiaire des SAFER :
- Simplification des recours : Les co-candidats n’ont plus à s’assurer de la participation de leur partenaire pour contester une décision qui leur est défavorable. Cette autonomie facilite l’exercice des droits de recours, notamment lorsque les co-candidats peuvent avoir des intérêts divergents après la décision de rétrocession.
- Sécurisation des projets collectifs : La solution encourage les projets d’acquisition conjoints, en garantissant à chaque co-candidat la préservation de ses droits procéduraux individuels. Les agriculteurs peuvent désormais s’associer pour présenter un projet commun sans craindre de perdre leur capacité individuelle à contester une décision défavorable.
Conseils pratiques pour les candidats à l’acquisition de terres agricoles
À la lumière de cette jurisprudence, plusieurs recommandations peuvent être formulées :
- Conserver tous les documents relatifs à la candidature, même en cas de candidature conjointe. Ces pièces seront essentielles pour établir la qualité de candidat et l’intérêt à agir.
- Surveiller les publications des décisions de rétrocession, notamment les affichages en mairie, sans attendre une notification personnelle qui peut faire défaut.
- Respecter les délais de recours, qui sont généralement courts dans ce type de contentieux. La vigilance est d’autant plus nécessaire que la date de publication marque le point de départ du délai.
- Documenter les irrégularités potentielles dans la procédure de rétrocession, notamment l’absence de notification personnelle dont se plaignait le requérant dans l’espèce commentée.
Que faut-il retenir ?
Qui peut contester une décision de rétrocession prise par une SAFER ?
Tout candidat à l’attribution d’un bien par une SAFER dispose de la qualité pour agir en contestation de la décision de rétrocession, même s’il n’a pas été retenu. Cette qualité est reconnue à chaque candidat individuellement.
Un candidat ayant déposé un projet conjoint avec un autre peut-il agir seul en justice ?
Oui, la Cour de cassation affirme clairement que le fait d’avoir déposé un projet commun avec un autre candidat ne prive pas l’un d’eux de sa qualité pour agir seul en annulation de la décision de rétrocession.
Est-il nécessaire de déposer une fiche de candidature individuelle pour préserver son intérêt à agir ?
Non, la Cour de cassation écarte expressément cette exigence. Une candidature formalisée sur une fiche commune avec un autre candidat suffit à conférer l’intérêt à agir en contestation.
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